Il existerait a priori une tension forte entre la philosophie, l’enfance et la littérature de jeunesse, dans la mesure où la philosophie implique un logos, un texte logique, rationnel, argumenté, intellectuellement tenu, et que la jeunesse – entendue comme destinataire de la littérature de fiction – se laisse remarquer, justement, a priori, par son incapacité à soutenir un tel discours…
Pourtant la philosophie, depuis les dialogues de Platon, se donne pour tâche l’éducation intellectuelle et rationnelle de la jeunesse. Après tout, Alcibiade ou Charmide sont de jeunes adolescents, presque encore des enfants, qui raisonnent mal ou peu, et toute la tâche de Socrate consiste à les emmener malgré eux vers la rigueur de pensée, la rationalité, vers des valeurs et des idées majeures (au sens de « majorité »). Et c’est aussi par l’usage de la fiction - comme L’Anneau de Gygès ou L’Allégorie de la Caverne - que Platon amorce cet apprentissage de la pensée.
N’est-ce pas précisément ce qu’une partie de la littérature de jeunesse contemporaine cherche à faire ? La littérature de jeunesse n’est-elle pas une ruse de la raison, qui charme en jouant avec les émotions, les plaisirs et les excitations de son petit lecteur pour le faire grandir et rendre son expérience du monde plus intelligible ?
Les expérimentations de pratiques de la philosophie avec les enfants se développent partout dans le monde depuis une quarantaine d’années, bouleversant les représentations traditionnelles à la fois de la discipline mais aussi de l’enfant. Les collections de « philosophie avec les enfants » se multiplient dans le monde de l’édition. Existe-t-il alors une philosophie mineure, au sens où Kant définissait la minorité ? Comment penser les liens qui unissent l’enfant, la littérature et la philosophie ? Comment la fiction peut-elle servir de médiation pour permettre aux jeunes enfants de mieux comprendre la complexité du monde et les grandes questions qui interrogent la condition humaine ?